Entrée des artistes

NOTE D’INTENTION, Ahmed Madani raconte...

« Je n’ai pas fait d’école de théâtre, je n’ai eu aucune formation, je ne me suis jamais senti légitime pour exercer cet art. L’art n’a jamais eu de place dans ma famille.
Ma mère a eu la chance d’apprendre à lire et à écrire, mais elle n’a pas dépassé le niveau de l’école primaire, elle me disait « au bled, les études ce n’était pas pour nous, c’était pour les Français, nous on allait faire le ménage chez eux ». Mon père était analphabète. Le mot "art" est un mot qui n’est jamais sorti de ma bouche lorsque je parlais avec lui ou avec ma mère. Je n’avais pas de mots pourleur expliquer ce que je faisais. Alors, je ne disais rien.
Ma vie était totalement incompréhensible pour eux, elle restait un mystère complet. Entre nous un mur de silence. Des sourires, des banalités. La langue était coupée à l’endroit précis où il s’agissait d’évoquer ce désir desublimation de ma vie qui me taraudait. Il me vient souvent cettepensée de n’être pas au niveau de ceux qui ont eu la chance de parler la même langue que leurs parents. C’est dans ce hiatus, cette béance des mots non-dits et non compris que mavolonté de raconter ce qu’on ne voit pas du monde se tient.
La question du désir d’art, de poésie, d’écriture, me hante depuis toujours. Comment et pourquoi devient-on artiste dramatique est la seule question que j’ai posée à ces jeunes gens. Y a-t-il une réponse possible ? C’est tout l’enjeu de cette Entrée des artistes qui amène ces élèves comédiennes et comédiens à rechercher au plus profond d’eux l’origine de leur désir de théâtre. Ils et elles parlent à coeur ouvert, ils et elles creusent dans leur mémoire, se racontent sans filtre, et évoquent le chemin parcouru depuis le premier jour de leur existencejusqu’à celui où on va les découvrir sur la scène. Leur corps, leur esprit, leur sensibilité, leurs rêves, leurs espérances, les douleurs et les joies qui les ont pétri·es, sont le matériau brut de notre quête. C’est juste leur humanité qui sera exposée face au public qui viendra à leur rencontre. Mais dans le fond, n’est-ce pas là le destin de tout artiste ? »

BIOGRAPHIE

Ahmed Madani est auteur et metteur en scène. Il crée sa compagnie en 1985 dans le but de réaliser un théâtre d’art poétique et populaire fondé sur le rapport au sociétal. En 1987, il est à l’initiative de Big bang banlieue, premier festival national de création artistique en banlieue. Il intensifie alors sa recherche de création artistique en milieu urbain. En 2003, il est nommé à la tête du Centre dramatique de l’Océan Indien et reprend ses activités artistiques en 2007 au sein de sa compagnie en gardant la volonté de questionner l’histoire contemporaine par le biais de l’écriture.
À partir de 2011, il développe le projet Face à leur Destin dans une dynamique de dialogue avec la jeunesse des quartiers populaires. En 2012 il crée Illumination(s), suivi de F(l)ammes en 2016 puis d’Incandescences en 2021. Par la suite, il crée Au non du père, œuvre intimiste dont le format permet de faire des représentations dans les théâtres mais aussi des lieux non dédiés. Il commence par la suite un nouveau cycle avec Nous sommes vous dont la volonté est de partir de l’intime pour parler du politique et de la sphère publique. Ce cycle débute avec Entrée des artistes, crée en juin 2024. À partir de décembre 2024, il entame des rencontres en France et en Suisse avec des jeunes engagé·es dans le but de rencontrer les prochain·es protagonistes de son futur spectacle Nous les minuscules, dont la création est prévue à l’automne 2026.
En 2025, il devient artiste associé au CDN de Normandie-Rouen. Ses textes sont édités aux éditions Actes Sud-Papiers et à l’École des Loisirs. Ahmed Madani a reçu le prix ado du théâtre contemporain 2015 et le Prix Villers-Cotterêts de la Francophonie pour sa pièce Je marche dans la nuit par un chemin mauvais en 2019.