Mardi 31 mars

parole d'artiste à voir

Chronique d'un artiste confiné

parole d'artiste

par Sébastien Ly

© sem brundu

Maintenant ?

 

Qui eût cru que nous arriverions à faire baisser significativement les émissions de CO2, à redonner leurs vraies couleurs à nos cours d’eau, à faire réentendre le chant des oiseaux dans nos villes, à faire en sorte que les plus démunis d’entre nous soient accueillis dans des hôtels. Vous le savez déjà : cette liste de miracles est exaucée et en 15 jours à peine. Là où tous les sommets de nos grands dirigeants ont échoué, un virus d’à peine quelques millionièmes de millimètres y parvient.

Nos morts, je les pleure. Les membres du corps médical risquant leur vie chaque jour, je leur rends hommage. Les travailleurs qui nous permettent de rester chez nous à l’abri : caissières et caissiers, éboueuses et éboueurs, postières et postiers, personnes de la manutention, je vous suis reconnaissant.

Un virus n’est pas un chef de guerre. C’est un organisme vivant qui pour se développer colonise d’autres espaces, jusqu’à mettre à mal ses propres hôtes et pouvant parfois entraîner la mort. Ce scénario d’un être vivant détruisant un autre être vivant a été mis en scène d’innombrables fois, par l’Homme. On nous a fait croire que pour vivre il fallait suivre un modèle dont les dommages collatéraux était quantité négligeable. Aucune forme de vie n’est négligeable. Tout ce qui vit s’épanouit dans un cycle qui lui est propre et qui a autant de valeur que le nôtre.

Aujourd’hui nous voilà isolés dans nos appartements. Depuis nos fenêtres, pour les plus chanceux d’entre nous, nous assistons au miracle du printemps qui s’éveille. Et probablement pour la première fois vraiment nous en sommes spectateurs. Je veux dire spectateurs comme lorsque nous sommes assis dans un théâtre face à une scène à laquelle nous n’avons physiquement pas accès. Alors nous observons, écoutons, nous laissons traverser et ce que nous voyons nous fait réfléchir, rêver, nous émeut. Et ce dont nous sommes témoin en ce printemps 2020 c’est que le printemps est là, revenant immuablement à la même période, trouvant la force de faire éclore les premiers bourgeons. Il ne revient pas parce que notre calendrier le lui intimerait chaque 21 mars. Il est là parce qu’il en va ainsi du cycle des saisons, indépendamment de la présence de l’homme. Et aujourd’hui nous ne pouvons rien faire d’autre que d’être spectateur. Je souhaite que ce temps de retrait du monde, de ce monde qui existe bel et bien en dehors de nous, s'apparente à l’expérience que nous faisons en allant voir un spectacle. Une expérience à part, hors du temps, seul face à l’œuvre, alors que nous partageons la communauté de l’instant avec le reste de la salle où personne ne se voit, chacun regardant dans la même direction. Mais nous sentons bruire la salle. Notre meute ne parle pas mais elle se ressent : nous sommes ensemble. C’est en pensant à vous, à nous, que depuis un an et demi je travaille à l’écriture de NOW. Ce solo pose la nécessité aujourd’hui d’opérer une rupture, un changement de paradigme complet, radical et immédiat. Et voilà que nous vivons ensemble ce temps inimaginable où pleurant nos morts et saluant l’engagement exceptionnelle de celles et ceux qui prennent soin de nous, nous nous retrouvons face à nous-mêmes, dans une redécouverte du temps, parfois anxiogène, mais un temps non productif et non consumériste. Ne sera-t-il qu’un temps ou serait-ce là les prémices d’un mouvement profond vers le changement, en chacun de nous et de manière collective, comme celui opérant au spectacle ? On entend et on lit : rien ne sera plus comme avant. En nous, c’est certain. Dans notre vivre-ensemble, dans nos modes de production et nos objectifs sociaux largement dictés par la société de consommation soutenue par les orientations politiques de croissance, rien n’est moins certain.

Dans ce temps flottant de confinement, j’ai cependant une certitude : je souhaite que mon solo NOW ne voit jamais le jour, que ce cri de révolte, cet appel à une mise en mouvement deviennent obsolètes, synonyme que nous aurions, ensemble, opérer ce changement. Paradoxe d’un créateur confiné ? Paroxysme : une œuvre ne peut exister que si elle s’accompagne d’une nécessité collective.